Aujourd’hui, j’ai décidé de m’exprimer sur un sujet un peu différent des précédents articles. Pourtant, il est tout autant en lien avec mon année de découvertes en Colombie.
Tout d’abord, j’aimerais savoir : que connote le thème du voyage pour vous ? Personnellement, les premiers mots qui me viennent à l’esprit sont : étranger, différent, autonomie, enrichissement, partage, découvertes, rencontres. Et c’est précisément de ce dernier point dont j’aimerais vous parler.
Ibsa est une organisation dédiée aux étudiants d’échange de l’Universidad del Rosario. Elle a créé un programme « social » il y a environ deux ans. Il s’agit en fait d’un volontariat dans les zones défavorisées de la capitale colombienne, plus particulièrement dans le sud de la ville, où habitent les « estratos » les plus bas. En effet, il se trouve que Bogotá est divisée en 3 parties. Il y a le Nord riche, qu’on pourrait presque confondre avec un quartier des grandes métropoles américaines ; le centre-ville où l’on ne se sent pas toujours en sécurité, aussi quartier historique typiquement latinoaméricain ; et enfin le Sud pauvre. Il se trouve qu’en nous présentant la ville, au dernier semestre, nos amis colombiens nous disaient tous :
« N’allez SURTOUT pas dans le Sud, c’est très dangereux et cela ne vaut pas la peine. Restez en sécurité dans chez vous. »
Et c’est justement dans le sud que se trouve l’école qu’accompagnent les volontaires de cette association. Étant de nature craintive et pas toujours très aventureuse lorsque je me trouve hors de ma zone de confort, j’ai un peu hésité avant de me lancer dans ce volontariat avec quelques amis. Laissez-moi vous expliquer pourquoi je suis si heureuse et reconnaissante d’en faire partie et de le promouvoir aujourd’hui.
L’Instituto Cerros del Sur se situe à une heure et demie du centre-ville. Cette école, c’est la seule de PotosÃ, un secteur du quartier de Jérusalem à Ciudad BolÃvar. Le but du volontariat est de venir en aide aux professeurs, qui essayent comme ils peuvent de lutter pour que les quelques 40 élèves ne restent pas sans éducation. En effet, cette école est différente des autres institutions. Elle fonctionne indépendamment du système éducatif colombien, faute de moyens financiers.
Il existait bien quelques années de cela un accord avec le Ministère de l’éducation colombien, comme nous rappelle la professeure principale, Mari, qui a permis à environ 1 200 jeunes d’étudier gratuitement. A cette époque, l’école recevait du matériel pour instruire ses élèves, comme par exemple la salle informatique dont les ordinateurs servent encore aux cours d’initiation à l’anglais. Une salle de danse fut construite. Elle disposait d’un miroir aussi large que la pièce ainsi que d’une barre pour s’entraîner. Malheureusement, il ne reste aujourd’hui qu’un pan de ce miroir, rongé par le manque d’entretien. Une cinémathèque a même vu le jour, grâce à la labeur volontaire de jeunes architectes étrangers qui collectèrent des fonds pour permettre l’ouverture de ce salon d’art, qui continue d’encourager les élèves à produire des Å“uvres artistiques. Les sièges à base de tissus et le matériel qui se dégrade n’ont pas entaché la volonté de s’exprimer des enfants, dont certains court-métrages ont été nominés au Festival Cinématographique de Carthagène au mois de mars !
Les professeurs sont complètement bénévoles, ils ne sont pas rémunérés par l’État pour leur activité et surtout, ne sont pas assurés en cas d’accident du travail. C’est pour cette raison que beaucoup de cours manquent à l’appel : notamment les mathématiques, la géographie et les cours de langue. Le manque de diplômés se fait cruellement ressentir en ce qui concerne l’avenir professionnel des enfants du quartier. Le prix de l’inscription oscille entre 50 000 et 80 000 pesos colombiens chaque semestre (entre 15 et 23 euros). Autre caractéristique, les classes sont mixtes en genre ainsi qu’en âge. S’y inscrivent des élèves de 3 à 20 ans. Les cours fonctionnent par spécialité académique de la maternelle au lycée.
Et encore mieux : sont acceptés les enfants sourds, ceux atteints d’arriération mentale, d’une lésion neuromusculaire, du syndrome de Down ou encore de paralysie cérébrale. Les adultes qui souhaiteraient apprendre à lire et écrire ainsi que se cultiver sont aussi les bienvenus.
L’institution a été un exemple de communauté scolaire et de lutte contre les inégalités dans le quartier. Les enfants n’ont pas de manuel, pas d’uniforme, pas de prérequis à avoir. Armés d’un cahier de notes et d’un stylo, ils se rendent en cours chaque jour du lundi au jeudi, de 9 heures à 16 heures. Ils disposent de 3 heures pour déjeuner le midi, ce qui permet à tous de rentrer chez eux ou de partir à la recherche d’un déjeuner digne de ce nom. L’entrée de l’école reflète presque symboliquement son slogan :
Il n’y a ni mur, ni grille, ni porte, ni garde de sécurité comme on en trouve presque partout à Bogotá.
Pour les enseignants et les responsables du projet, l’Instituto Cerros del Sur symbolise un modèle d’éducation autonome et alternative. Ils ont perdu le soutien financier du gouvernement, ainsi que la reconnaissance officielle de leur cursus éducatif, et pourtant, l’école s’est relevée et continue à chercher des solutions pour illuminer son avenir. Malgré le fait que certains étudiants ne parviennent pas à payer le coût d’un semestre de cours, l’administration ne leur refuse pas l’éducation. Le personnel n’a pas tous les avantages du travail, mais le plus remarquable est qu’il continue à croire en la réussite de leur projet communautaire et à se battre contre la ségrégation des quartiers de la capitale colombienne.
Avant de conclure cet article, laissez-moi vous raconter mon expérience personnelle dans le cadre de ce volontariat. Les visites à l’école s’organisent en fonction de nos emplois du temps personnels et à nos disponibilités. En principe, nous devons y aller une fois par mois avec toute l’association, et nous organiser individuellement si l’on souhaite s’y rendre en dehors de ces dates. En ce qui me concerne, j’ai décidé, avec deux autres amies françaises, de rendre visite aux enfants chaque lundi. Il me tient à cœur de souligner que l’équipe éducative ne nous a absolument rien imposé, nous avons choisi ce que nous voulions leur transmettre.
Au cours des précédents semestres, d’autres étudiants étrangers venaient déjà à l’école et avaient préféré mettre en place des rencontres sportives, des activités ludiques et récréatives avec les enfants.
Cette fois-ci, nous avons pris l’initiative, avec une amie, de donner aux enfants des cours de « Culture géopolitique » et de français/portugais. Ainsi, les professeurs nous offrent les deux heures de l’après-midi, de 14 heures à 16 heures, consacrées habituellement aux « talleres » (c’est-à -dire aux ateliers ludiques). La première heure, nous travaillons à deux face à la totalité des heures (40-50 enfants) et nous leur inculquons des notions de géographie, d’histoire ainsi de que culture à propos des différents continents. Nous leur enseignons les caractéristiques du continent latino-américain ainsi que celles de l’Europe, en passant par l’Afrique et l’Asie, en s’intéressant parfois spécialement à nos pays d’origine.
Les élèves semblent enchantés, et participent activement aux jeux ludiques que nous organisons pour stimuler leur soif de savoir.
Ensuite, le groupe est divisé en deux pendant la deuxième heure : d’un côté ceux qui souhaitent se perfectionner en portugais, de l’autre nous retrouvons les adeptes du français. Cela signifie donc la responsabilité de gérer une classe d’enfants comme si nous étions enseignantes. A vrai dire, cette idée m’effrayait grandement au début de notre aventure. J’avais déjà été assistante en aide aux devoirs, ainsi que professeure particulière de français pour collégiens lorsque j’étais encore en France, mais jamais pour des élèves étrangers. Par ailleurs, même si j’aime profondément transmettre mes connaissances sur mes origines à mon prochain et je suis passionnée par l’espagnol, je craignais de voir la réaction des élèves.
Et cela n’avait pas lieu d’être car, jusqu’ici, l’expérience fut merveilleuse. Je pus me découvrir un penchant pour l’éducation, que je n’aurais pas soupçonné, mais surtout, une passion pour la réaction des enfants face aux activités que je mets en place. Bien sûr, il ne s’agit seulement de cours d’initiation au français, nous évoquons pour le moment que des thèmes simples comme la présentation, les chiffres, la nationalité, dire son âge, les animaux… Maisil faut savoir que les enseignants valorisent l’étude tout comme la connaissance de la communauté, les droits humains et le travail en équipe, dans le but d’encourager les élèves à construire un meilleur quartier. Les cours de français ont donc pour vocation de leur donner cette capacité à s’ouvrir sur le monde.
Le plus beau dans l’aventure avec l’Instituto Cerros del Sur, c’est de savoir que nos efforts ne resteront pas sans continuation. Les étudiants d’échange des prochains semestres pourront continuer ce que nous avons entrepris. Et permettre à ces enfants de quartiers dévalorisés de garder ce sourire sur leurs lèvres et de continuer à lutter pour obtenir un avenir meilleur et de repousser les préjudices d’un revers de la main. Parce que ma plus belle récompense pour ce volontariat, cest leurs paroles tendres après chaque session linguistique :
« Quand est-ce que tu reviens ? S’il te plaît, viens tous les jours ! ».
Je vous laisse le lien de la vidéo faite par la responsable du volontariat à Ibsa, Estefania Güechá, qui présente le programme social : https://youtu.be/8PLjyW977r4
Marina